C'est la Mère Michelle qui a perdu son chat • LIBRE

« Asmaaa... ! » Sax soupirait. Où est-ce qu'elle était allée ce foutre, cette chatte, encore ?

Asma était une chatte d'un pelage épais et touffu, noir comme jais. De longs poils aériens qui se traînaient derrière son cul en un grand plumeau élégant. Cette chatte était magnifique et Sax en avait une affection formidable.

Souvent, Sax dormait avec elle et elle lui servait d'étrange anxiolytique à ces brusques changements d'humeur. Asma était son petit rayon de lumière. Son phare dans la nuit, lorsque l'insomnie le tiraillait. L'ancre de ces perditions lorsque le monde autour n'avait plus de sens. Elle était là. Elle était sa gardienne. Son amie. Sa confidente. Asma était sa bouée.

Et était aussi une sacré petite pute.

Fugueuse et peut-être trop indépendante au goût de Sax, Asma était un animal vagabond qui aimait se perdre dans l'immensité du château. En six ans, l'animal avait réussi à trouver toutes les cachettes les plus improbables pour se tenir au chaud. Paisiblement. Et si elle était majoritairement entre les pattes de son maître, ce dernier s'inquiétait toujours de la voir disparaître trop longtemps.

« Asma ! » Aboya-t-il plus violemment en descendant les escaliers pour rejoindre le Grand Hall.

On lui avait pourtant dit de lui jeter un sortilège de métamorphose pour la transporter avec lui. Pour ne pas la perdre. « Il peut lui arriver des bricoles ». Pour Sax, il était hors de question d'empêcher sa chatte de se balader où elle le souhaitait. Il était tout bonnement impensable de toucher à la liberté de sa chatte. Tant pis s'il devait hurler son nom dans tout le château.

Heureusement, le bon maître connaît les cachettes de son compagnon favori. Et Sax s'était naturellement dirigé vers les placards à balai du Hall. Asma avait ses petites habitudes. Il la laissait y pioncer quand elle voulait mais il avait eut à cœur de connaître chacune de ses planques. Tout le temps. Dans le Hall, il y en avait trois. Il alla voir la plus fréquente.

En entrant dans le placard, un épais nuage de poussière vola. Sax toussa et ventila la pièce avec sa main. Ses yeux piquaient un peu. Un petit sortilège régla l'affaire de ses poumons encombrés. Devant lui, une pièce remplie de balais de merde et d'équipement défectueux.

« Asma... ? »

Le Serpentard se pencha pour commencer à retirer un par un les balais pour y trouver plus de lisibilité.

« Lumos. » Sa baguette entre les doigts, il espérait la trouver plus rapidement en éclairant ce trou à rat.

Si elle était bien dans ce putain de placard à balai.

 « Qu’est-ce que tu fais là, toi ? »

Georgie se pencha pour prendre dans ses bras le chat noir caractéristique, et enfouit son nez dans son pelage si doux. La chatte de Sebastian était reconnaissable entre mille, princesse de la salle commune des Serpentard, mais elle avait rarement l’occasion de s’en approcher. Son propre animal de compagnie, une hermine nommée Regina, se montrait particulièrement agressive en sa présence. Prédateur naturel, elle n’aurait jamais permis à sa maîtresse d’approcher d’Asma en sa présence. La trouver ainsi sur son chemin en rentrant d’un cours de soin aux créatures magiques était donc inespéré. Elle allait pouvoir la cajoler jusqu’à ce qu’elles arrivent dans leur salle commune.

La demi-vélane était naturellement douée avec les animaux, et la chatte ronronnait dans ses bras au bout de deux minutes. Si seulement son propriétaire avait été aussi facile à satisfaire… D’ailleurs, n’était-ce pas sa voix qu’elle entendait ? Il n’y avait que lui pour appeler Asma ainsi. Elle s’arrêta au milieu du couloir, cherchant à identifier d’où venait la voix, sourcils froncés. Le placard à balais ?!

Pendant une seconde, elle eu la tentation de l’y enfermer, mais la blague n’aurait pas été très drôle s’il avait sa baguette sur lui et s’en libérait immédiatement. Puis, Seby n’était pas la meilleure cible pour ce genre de petit tour. Au lieu de la claquer, elle entrouvrit donc la porte et se tint sur le seuil le temps de laisser ses yeux s’habituer à la pénombre.

« Sebastian ? Si tu cherches Asma, je… »

Dans un miaulement, la chatte lui sauta des bras et disparu à la vitesse de l’éclair derrière un entrelac de balais et de caisses poussiéreuses.

« … l’avais. »

Elle fit un pas à l’intérieur du placard, cherchant à distinguer la bête. Il n’y avait bien qu’à Havalbion que les placards à balais s’agrandissaient au fur et à mesure qu’on y entrait.

« Qu’est-ce que tu fabriques ici ? Asma se prend pour la Miss Teigne des fameux bouquins Potter ? »

Elle lui sourit avec une malice séductrice et essuya sa jupe du revers de la main.  Pour un placard à produits de nettoyage, il était bien sale. La poussière la fit tousser.

Accroupi et la baguette tendue vers l'avant, la lumière diffuse projetait les ombres des balais contre les murs et jouaient avec ses sens. Il râlait et maugréait. « Je te jure que si je te retrouve là-dedans, espèce de garce... »

Sax adorait autant cette chatte qu'elle devait l'aimer. Sax la brossait souvent pendant des heures. Jouait avec elle et lui rapportait quelques fois des proies à la mesure de ses instincts de prédatrice. Il adaptait une alimentation très stricte et lui laissait une liberté que beaucoup ne comprenaient pas. Asma était sans doute le chat le plus heureux de cette foutue école, lorsqu'elle venait se prélassait dans la salles des Serpentard et se faisait sauter dessus pour être grattouillé par une dizaine de mains. Sax n'était pas jaloux pour deux sous. Mais il était un maître autoritaire lorsque la petite chatte s'amusait à lui faire quelques frayeurs.

Sax se redressa en entendant des talons claquer sur la pierre du hall. Immobile et la tête tournée, Sax s'interrogea. Ca s'approchait et il reconnaissait cette présence putassière et semée de trouble qu'il aimait tant.

Comme beaucoup de garçons, Sax était un grand fan de Georgina. Il la trouvait belle et révoltante. Il avait envie de lui casser le nez en lui roulant dessus. De la prendre fort dans ses bras et de l'y sentir se débattre. Et régulièrement, Sax avait des gestes déplacés à son encontre, incapables de d'avantage réduire une pulsion meurtrière qui s'adressait directement à la demi-vélane.

En vérité, ce n'était pas la beauté de Georgie qui l'excitait tant. C'était ce qu'il sentait en elle. C'était cette âme troublée, ces émotions refoulées, cette fusion bizarre qui en troublait ses sens. Et alors qu'il la sentait s'approcher, Sax ferma une brève seconde les yeux et respira dans l'air les relents poisseux de sa petite copine. Il sourit et tourna la tête vers elle. Son visage s'illumina d'un air paresseux mais satisfait.

Le chat entre ses mains. Elle allait bien, cette petite pute ! Amen ! Diable, merci ! On n'en faisait plus des comme elle ! Sax se redressa et approcha mais n'eut guère le temps de prendre la chatte dans les bras qu'elle fila entre leurs jambes pour se faufiler à travers les balais.

« ... » Sax, dans un silence effaré, la vit disparaître dans le placard. Par pitié ! Il se mordit la lèvres. « Cette saloperie... ! Asma ! Reviens-là ! »

Immédiatement, Sax retourna au combat avec sa baguette en main.

« Je vais tellement t'épiler les poils, quand je vais te choper... »

La voix de Georgie derrière lui n'apaisait absolument pas ses nerfs. Il avait envie de la frapper. Ah ! Ca la faisait rire, n'est-ce pas ?!

« Elle a dû flairer une proie. » Dit-il gravement et calmement en dégageant quelques balais qu'il laissa tomber dans les bras de son amie. Puis après s'être enfoncé dans le placard, Sax s'immobilisa. Tourna la tête vers Georgie. « Et toi... ? » Il arqua un sourcil en la toisant de haut en bas.

Appuyée nonchalamment contre le linteau, Georgiana observa la scène devant elle avec un sourire goguenard, entre deux quintes de toux dues à la poussière.

« Pas étonnant qu’elle fuit, si tu lui parles comme ça… »

En réalité, elle savait pertinemment qu’Asma était la créature de sexe féminin la mieux traitée par Sebastian de toute l’école… ce qui en disait probablement long sur sa manière de considérer les autres. Il avait presque l’air de se faire sincèrement du mouron pour elle, et Gigi se laissa attendrir un peu. Sebastian, sentimental ! Il était touchant dans son ardeur à retrouver le matou, et elle songea que plus d’une de ses camarades aurait donné un bras pour qu’il lui accorde autant d’attention. Ca… et qu’Asma serait un bon moyen de pression si jamais elle en avait besoin un jour. Elle n’était pas de ces parieurs invétérés qui ont besoin d’une excuse pour éponger des dettes qu’ils ne peuvent plus payer, mais l’idée d’une certaine protection contre le garçon n’était pas désagréable. Elle n’aurait pas su quantifier pourquoi, exactement, mais c’était comme ça. Mieux valait avoir un coup d’avance (ou l’illusion d’un) avec le Prince des Paris. Elle s’avança un peu dans le noir, allumant à son tour le bout de sa baguette.

« Tu m’as confondu avec la femme de ménage, on dirait. » Elle renvoya nonchalamment les balais qu’il venait lui fourrer dans les bras contre le mur. Deux d’entre eux tombèrent au sol avec fracas. « Oups. » Elle lui rendit son regard, pas vraiment contrite, et enjamba soigneusement le tas de plumeaux et balayettes, léger sourire de défi au coin des lèvres.

« Moi ? J’étais venu te rendre ton chat, bien sûr. Par amitié, dirons-nous. » Son sourire s’étira. Le mot était grossièrement inapproprié pour décrire leur relation. « Lance-lui un Accio qu’on en finisse. Ou bien tu comptes aller comme ça jusqu’à Narnia ? » Elle écarta un aspirateur datant visiblement du néolithique avec un mouvement de hanche étudié, avant de se pencher, fléchissant juste assez des jambes pour éviter de dévoiler sa culotte sous sa jupe, et de tendre la main vers le sol, agitant tout doucement les doigts. « Asmaaaaa, mignonne, reviens chérie. » Après avoir scruté un peu l’obscurité, elle releva les yeux sur Sebastian, d’un air de dire « alors ? ». Ils allaient y passer la nuit s’il ne se décidait pas à employer une méthode un peu plus magique et efficace.

« Dans mon monde, les filles me supplient pour que je leur parle comme ça, ehe. » Légèrement penché en avant, Sax tourna un regard complice à son amie.

Ce qu'il entendait par « son monde » demeurait mystérieux. La subjectivité de Sax semblait toujours teintée d'un narcissisme à toute épreuve. Mégalo et sensible aux petites impulsions d'angoisse que le cœur de Georgiana pouvait lancer, il laissa planer une étrange menace dans sa voix. Une menace doucereuse et qui invitait à l'y suivre. Mais Sax n'espérait pas qu'elle l'y suive. Pas encore. A ses côtés, sa fierté ne cédaient jamais facilement. Sa petite et jolie et douce petite Gigi. Si naïve dans son raffinement caustique...

Alors, Sax soupira. Dégageait les balais entre les bras de Gigi qui les dégageait sur les côtés. Un formidable travail d'équipe.

Orkney n'était pas connue pour être une tendre petit Marie-Couche-Toi-Là. Sa sexualité, son élégance et son charisme en faisait une véritable diva parmi les pouilleux. Sax aimait l'entendre parler. Il aimait sentir ce frisson de mépris dans sa voix tandis que son âme tremblait d'incertitude. Alors, il se contenta de ricaner, abandonnant sa camarade derrière lui, dans les ténèbres du placard et goûtait un peu plus à la volupté de l'entendre s'enfoncer doucement. Bientôt, il arrivait à déceler dans des armoires poussiéreuses, des restes de nécessaires à balais usés et inutilisables.

« Trop aimable. » Rendit-il en soufflant, jouant le jeu des hypocrites. A moitié seulement. Sa voix sifflait d'un ton moqueur.

TOC ! « Aouch... »

Il se laissa surprendre par le rebord d'une étagère clouée très bas sur le passage. Il se frotta le front, les sourcils froncés en levant sa baguette. L'étagère était bien fixée à un mur mais il lui semblait sentir le vide, plus bas. En se baissant, il se rendit compte que le placard à balais continuait dans une espèce de cavité ou de tunnel très sombre. Même avec sa baguette et en se baissant pour tendre la main, il était incapable d'éclairer bien loin. L'obscurité semblait dévorer la lumière de son sortilège.

« Lance-lui un Accio qu'on en finisse. »

Alors qu'il cherchait à percer inutilement les ténèbres de son regard, baguette tendue (et l'autre main qui se frictionnait le front après s'être cogné), il se tourna vers Georgiana.

« Pardon ? » Il arqua un sourcil. Alors il la toisa de haut en bas pendant qu'elle chantonnait des doux compliments sucrés à son chat. « Tu sais que c'est un chat et qu'elle ne te comprend pas ? »

Sax ne lançait jamais de sort à son chat. Il ne l'abandonnait jamais, ne la forçait jamais à rien. Cet animal était aussi affectueux que capricieux et Sax l'avait toujours éduqué dans ce sens. Lancer un Accio à Asma ? Elle reviendrait d'elle-même! Tout du moins l'espérait-il en délimitant de sa baguette les parois du terrier qu'il venait de découvrir tout au fond du placard.

« Arrête de faire la cruche et viens voir. » Ordonna-t-il brusquement, le ton grave.

Sax ne savait pas parler gentiment avec naturel. Toujours odieusement autoritaire et paternaliste. Toujours horriblement humiliant et implacable.

« Ehe, je crois que nous avons trouvé Narnia... Dix Mornilles que ça nous mène vers un raccourci à Serpentard. » Il se décala pour qu'elle puisse arriver (difficilement vu les obstacles sur le chemin) jusqu'à lui et voir le tunnel. Accroupi, il posa son bras sur son genou, attendant son pari à elle. Puis lui fit signe. « Passe la première. » Intima-t-il sèchement.

Hors de question qu'elle reste en arrière pour s'en échapper. Ou plutôt : Sax se méfiait des mauvais tours que sa belle Georgiana pouvait bien manigancer dans sa tête. Il pouvait y lire ses émotions. Malheureusement pas ses réflexions. Et il s'en doutait : Beaucoup d'entre elles devaient plus ou moins planifier sa disparition.

Georgie haussa haut les sourcils à la lueur de sa baguette. S’il pensait qu’elle-même allait s’abaisser à lui demander quoi que ce soit de ce genre, il se fourrait de doigt dans l’œil jusqu’au coude. Les supplications, chez elle, allaient dans l’autre sens. Tous les garçons de l’école ou presque lui tournaient autour. Elle n’avait qu’à se pencher pour ramasser, quand elle en avait envie. Ramasser exactement ce qu’elle voulait. Les lois de l’offre et de la demande : elle avait le pouvoir. Sebastian pouvait aimer les frontières brouillées, mais pas elle, même si une vérité demeurait : elle avait au final bien plus de respect pour les êtres du sexe opposé avec lesquels elle ne couchait pas. Ceux qui semblaient capables de penser avec autre chose que leur cinquième membre, de temps à autre. La seule exception notable à cette règle étant Aryel, parce qu’Aryel couchait avec tout ce qui bougeait, que ça soit demi-Vélane ou pas. Etrangement, cette promiscuité compulsive lui rendait la normalité qui lui manquait. Et puis, aussi, parce qu’Aryel était un particulièrement bon coup, et un amant attentionné, quand il avait une partenaire comme elle, à sa hauteur. Les deux faisaient la paire. Sebastian, lui était… encore à part.

Gigi se désintéressa de plus d’introspection sur sa merveilleuse vie sexuelle. De toute manière, Sebastian n’avait rien à foutre de ce qu’elle pensait de lui, c’était évident. Son ricanement s’interrompit brusquement dans un bruit sourd : il venait de se cogner quelque part, et son silence à elle, loin de toute commisération, était le plus sonore « bien fait » du monde.

Elle s’avança doucement dans le noir, loin désormais des mouvements à demi-lascifs qu’elle donnait en représentation dans les couloirs fréquentés, faisant attention à ne pas reproduire que lui, le contournant légèrement par la droite pour ne pas se cogner à son tour.

« Elle comprenait bien tes menaces, tout à l’heure. »

Elle se releva, cette fois-ci flashant délibérément sa culotte au passage après s’être trop penchée en avant. « Connard. » lâcha-t-elle dans un murmure parfaitement audible, avant de tout de même se rapprocher pour tenter de voir ce qu’il avait découvert. Elle ne s’était pas couverte de poussière pour rien et en voulait désormais pour son temps… et son argent. Tant pis s’il fallait rentrer un peu dans le jeu de Sebastian pour ça.

« Dix de plus que ça mène plutôt aux fameux cachots de torture qui n’ont plus été utilisés depuis Voldy et co. N’importe quoi du moment que ça ne mène au baisodrome privé du concierge. »

Elle dégagea la main qu’il avait posé sur son genou d’un petit geste sec, comme une vache fouette les mouches avec sa queue. Elle avait assez l’habitude des gestes déplacés à son égard. La main aux fesses inattendue faisait partie de son quotidien depuis au moins ses douze ans, et elle traitait désormais tout contact physique non voulu avec une désinvolture née d’une longue habitude à ce que son corps ne soit que relativement privé.

« Better the devil ye ken than the devil ye don’t.” Cita-t-elle, blasée, en laissant exceptionnellement ressortir son fort accent écossais.

Elle sortit de sa poche son fidèle couteau suisse, pour compléter sa baguette. La lame brilla ostensiblement dans la lueur du Lumos. Une petite tape avec ça, s’il venait à Seb l’envie d’un geste encore un peu déplacé, aurait plus de conséquences. Elle n’aimait guère être ici, quoi qu’elle refusa de le montrer. Les endroits inhospitaliers ne lui étaient pas étrangers, quand ils étaient naturels : qu’on lui donne une tourbière aride, une montagne trop froide, et elle était chez elle. A l’orée de ce boyau en revanche, elle commençait à se sentir un peu claustrophobe. Pas sûr qu’Asma vaille la peine de tout ça… Mais Sebastian lui bloquait désormais toute retraite et elle était trop fière pour admettre son manque d’enthousiasme.

Elle s’engouffra donc dans le tunnel, si penchée en avant qu’elle était presque pliée en deux. L’odeur d’humidité un peu moisie était atroce, quoi que les parois soient encore sèches. Le Lumos de sa baguette n’éclairait pas à trois mètres. N’importe quelle horreur pouvait se trouver devant elle… et elle n’était pas tranquille avec ce qu’il y avait derrière non plus.

Elle continua d’avancer, péniblement, jusqu’à se retrouver dans une cavité un peu plus large où elle pu enfin se redresser. C’était comme une sorte de palier, et elle attendit que Sebastian l’y rejoigne. Le tunnel se scindait en deux à partir de là, et Asma n’était toujours visible nulle part.

« Qu’est-ce qu’on fait ? M’est avis qu’Asma retrouverait son chemin sans nous, mais ça ne règle pas notre pari. »

Malgré l’ambiance un peu glauque de l’endroit, il y avait quelque chose d’excitant à s’imaginer ainsi quelque part sous la Grande Salle ou les Sabliers, sans que personne ne puisse deviner où ils étaient.

« Connard »

Sax lui sourit et accrocha un regard de défi au sien.

« C'est ça, insulte-moi. Ca m'excite. » Menaça-t-il alors qu'elle se soumettait à chacun de ses caprices, d'un air de faux orgueil.

Digne mais pas trop. C'est ça, ma fille. Avance.

Sax se laissa surprendre par cette peur pernicieuse qui naissait tranquillement au fond des tripes de sa camarade. Elle était adorable et agréable. Comme un bruit de fond. Une complainte presque lascive.

Il pouffa. Ne sachant pas si c'était cette blague sur le concierge ou cette brusque envolée de ressentis refoulés qui le faisait marrer.

Seb ne pouvait pas se justifier. Pas après lui avoir fait vivre ce que d'autres avaient vécu avant elle. Un souvenir tenace, une fusion qu'il se rappelait avec une extase presque sirupeuse. Georgina avait de bonnes raisons de le craindre. Et durant un bref instant, il se demanda bien quel genre de défi Georgina avait voulu se lancer en acceptant ce pari.

La pauvre fille était soumise aux forces obscures qui faisaient leur entente : L'audace et l'ambition. La force de caractère et la détermination de la victoire. C'était dangereux de parier avec Sax et Georgina le savait. Le savait tant qu'elle ne s'en cachait plus. Sax aurait presque eut de la peine pour elle.

Peut-être qu'au fond il en avait. On ne se refaisait pas. Et quelques souvenirs de larmes en sucre et de piaillements délictueux lui revenaient à l'esprit. Il ne savait pas vraiment s'il était triste pour lui ou pour les autres. Il y avait juste ce vague sentiment de compassion qui lui nouait les tripes et faisait naître en lui une colère contre le monde entier ou contre lui-même.

Il n'y avait pas grand chose à faire si ce n'était : accepter. La fatalité payait en nature. Elle rendait libre ceux qui la pratiquaient avec dévotion.

Avant de suivre son amie dans le tunnel, Seb eut un regard en arrière. Il tourna la tête vers elle en ouvrant la bouche. Lui dire de dégager et de rentrer plutôt que de s'enfoncer. Mais à quoi est-ce qu'elle s'attendait, putain ? Instant de lucidité.

Sax regarda ce cul s'éloigner dans le noir. Sourit. Et ferma la bouche pour s'y engouffrer à son tour.

Ses yeux restèrent planter sur ce qui lui apparaissaient sous le nez. Cette invitation était trop belle.
Il imagina.

Il imagina cette montée brusque d'adrénaline dans le sang quand il l'attraperait brusquement vers lui. Il imagina cette peur blanche de l'instant volé. De cette main livide qu'elle sentirait attraper jusqu'à son âme pour lui dérober toute cette dignité factice que Georgina pensait pouvoir la protéger. Il imagina ce qu'il ressentirait pour elle quand elle lui grifferait la main, toute en haleine, en secouant la tête de négation. Cette brusque remontée amère des souvenirs coupables. Les erreurs. L'impuissance devant la fatalité. Cette si suante amie. Qui la croirait ? A qui pourrait-elle pleurer que le méchant Sax l'a attrapé si fort qu'elle en cauchemardera encore ? Qui ça étonnerait ? La pute et le bâtard. Qui pourrait bien avoir commencé le vilain jeu ?

Pour Georgina, cette fatalité-là aurait été impossible à supporter. Et Sax n'avait pas de réputation à tenir.

Sa main effleura son mollet. Il leva son regard et ses yeux furent transpercés par une flèche embrasée. Éblouit par le reflet du Lumos, Sax détourna les yeux et la laissa continuer plus en avant en faisant mine de regarder derrière eux.

L'entrée lui semblait loin et il lui parut absurde de penser qu'ils ne pourraient plus jamais repasser par là, comme s'ils franchissaient un chemin de non-retour. Il ricana silencieusement en relevant les yeux.

Un couteau. La garce.

Après un long chemin silencieux et tendu, les deux explorateurs retrouvèrent leur sarcasme complice.

Seb s'éloigna de l'entrée pour épousseter son pantalon tout en levant sa baguette vers le passage de droite. Voilà donc un épineux problème et la mention d'Asma eut le don de le faire sursauter, se rappelant brusquement de son existence. Il tourna la tête vers Georgina. Un bref instant, il ne savait plus s'il voulait continuer plus loin ou s'amuser des émotions de sa camarade. Il avança d'un pas vers le couloir de droite en se baissant sur le côté pour tendre plus loin la baguette. Son sourire était béat de fascination.

« Je paris dix autres mornilles que l'un de ces chemins mènent au dragon. » Annonça-t-il en se penchant légèrement vers elle sans la regarder.

Histoire d'inviter à la seconde expédition que promettaient tous ces souterrains secrets.

Il se tourna vers Georgina et ne pouvait pas s'empêcher de sourire.

« Dame des cœurs, à vous l'honneur. Par où veux-tu passer ? »

Bon seigneur, Sax laissa retomber la pesante atmosphère que la méfiance et les silences avaient fait tomber entre eux. Il en profita pour dénouer sa nuque d'un mouvement circulaire de la tête et s'étirer le brachial.

 Une main sur son mollet. Georgiana, qui s’était presque attendue à pire, se contenta de lever brusquement sa baguette, pour aveugler momentanément Sax, puis de continuer à avancer d’un pas égal. Elle avait hâte de sortir de ce tunnel tout moisi qui la mettait finalement mal à l’aise. Fichu chat. Et si elle tombait nez à nez avec un Basilic ou quelque chose du genre, hein ?

Elle se sentit soulagée en atteignant la cavité-étape, un regain d’enthousiasme et de curiosité la poussant à examiner les options qui s’offraient à elle. A eux. Sebastian venait de la rejoindre sur « le pallier », qui lui sembla soudain terriblement exigu. Une vague toute fraîche de claustrophobie l’envahit et sa respiration se fit un peu plus courte tandis qu’elle s’adossait au mur un peu humide pour dégager de l’espace entre eux deux. Penché sur elle, il était beaucoup trop proche et elle avait la sensation d’étouffer à petit feu, comme si l’air était soudain devenu trop épais pour qu’elle puisse le respirer.

« Quel dragon ? Le concierge ? Il fumasse plus qu’il ne crache du feu, ce vieux schnock. »

Insulter gratuitement cette horreur de vieux gardien lui rendit un peu de baume au cœur. L’homme à tout faire du château n’était vraiment pas seyant, et ses regards appuyés quand ils se croisaient la dégoûtaient toujours. Pédophile ! Dommage qu’elle ne puisse pas choisir sur qui désactiver son don de Vélane.

Elle agita sa baguette par-dessus l’épaule de Sax, marquant prudemment d’une croix enflammée le bout de tunnel d’où ils étaient venus. Pas question de se perdre dans ces boyaux ! Sax se faisait charmant et elle lui rendit son sourire par pur automatisme, essuyant du revers de la main qui tenait son couteau les quelques gouttes de sueur froide qui commençaient à perler à son front.

« Parier, parier… C’est moi que tu devrais payer pour aller ainsi récupérer ton minou. A gauche ? A ton tour d’être devant. »

Elle prit une inspiration un peu forcée et épousseta machinalement sa jupe. S’enfoncer ainsi sous terre lui faisait perdre pas mal de sa superbe, mais elle refusait de déclarer forfait tout de suite, et accrocha un sourire mutin à ses lèvres tandis que Sax s’étirait.

« Tu arrives à faire de la gymnastique dans un cagibi pareil, toi ? Parfois je pense que tu es réellement un serpent et que ton apparence humaine n’est que temporaire. » Les serpents étaient souples et n’avaient pas d’âme : la définition collait bien. Mais qu’est-ce qu’elle foutait-là ? Elle l’étudia du regard, lui suintant le danger, elle faussement désinvolte, et se promit que s’il lui arrivait quoi que ce soit, Asma ne reverrait jamais la lumière du jour.

Sax tourna la tête vers Georgiana, mollement et arquant d'un sourcil tandis que son corps se libérait de ses tensions. Il ne savait pas s'il devait la considérer débile, sous-cultivée ou juste très méprisante. Sans doute un peu des trois. Il se redressa pour faire face au couloir, écoutant Georgiana utiliser des insultes aussi mignonnes que pathétiques sans y prêter beaucoup d'attention.

Mignonnes parce que Sax désirait pour elle tout ce qu'elle craignait absolument. Parce qu'elle semblait être tombée dans un autre monde, une autre réalité où ses pouvoirs ne lui serviraient plus. Où sa baguette ou son couteau lui seraient d'un bien maigre secours. Elle était seule, livrée à elle-même. La peur dans les tripes. Une peur animale, primitive et loin des standing si pointus de cette Duchesse en carton. Une peur insidieuse et suante qui parlait à l'âme même. A l'instinct. « Va-t-en » l'entendait-il se criait à elle-même alors que tout son orgueil jurait qu'elle ne perdrait pas face. Une injure à la fois, bichette. Pourquoi vouloir se presser ? On a le temps. Sax pouvait bien lui en faire vomir de bien plus violentes.

Pauvre enfant. C'était obscène, tant c'était bon. Cette concentration sur sa propre respiration. Le regard qui s'accroche au moindre détail éphémère. Les jambes légères, la tête lourde et la brusque sensation d’abîme. De toutes les peur, il y en avait de plus savoureuses que d'autres.

Sax resta un long moment silencieux à regarder les ténèbres s'engouffrer dans le couloir.

« Ferme ta gueule. » Silence. Il se tourna vers elle en effectuant des petits ronds avec son poignet. Il lui souriait de ses plus belles dents, annonçant qu'ils avaient pénétrés dans un monde où la Reine des Abeilles ne serait pas protégée par sa ruche. En un bref instant, son visage s'illumina. Et son sourire devint une menace intelligible. « Ça, tu vois, Georgiana, c'est le silence. » Assura-t-il en se tournant entièrement vers elle. Un ricanement méphistophélique sifflait entre ses dents. Moqueur. Puis il eut brusquement un air désolé. « Qui est-ce que tu crois tromper, hein ? Je te sens ! » Il se pencha en avant et ses yeux furent semblables à deux lunes rondes. Ce même sourire sans âme toujours au visage. « Et plus tu sues, ma grande et plus ça m'excite. »

Les gens pensaient souvent avoir le contrôle de leurs émotions. Qu'ils pouvaient avoir peur ou non sur commande. Être en colère ou non, sur commande. Être heureux ou non sur commande. En vérité, il n'y avait rien de plus sincère qu'une émotion. De plus brut et de plus révélateur. Les gens ne mentaient pas sur leurs émotions. Ils ne faisaient que les cacher au reste de l'Univers jusqu'à les rendre invisibles jusque pour eux-mêmes. Et Georgiana était la reine du faux-semblant.

« Aehe, nom de Dieu... » Quand Sax jurait au nom du Seigneur, l'atmosphère s'électrisait toujours pour un bref instant. Il se massa la tempe. « Tu es une enfant... Il n'y a vraiment que toi pour croire que je suis encore en train de chercher Asma. »

Le seul talent que Gergiana mettait en avant, tout le temps, toujours, était sa capacité à créer les émules. Les affections et le désir. Elle ne servait qu'à ça, ne faisait que ça, n'existait que pour ça. Parfois, il l'entendait en parler avec une frivolité qui le rendait dingue, comme si elle portait une malédiction, sur les épaules. Comme si elle savait ce que c'était. Mais Sax savait. Sax comprenait. Et pour cela, Sax la détestait. Il la détestait parce qu'elle ne servait à rien. Qu'elle n'avait aucune qualité humaine à vendre. Elle était manipulatrice, dépendante de l'amour des autres mais n'en donnait à personne. Le symbole royal de tout ce qu'il pouvait mépriser. Cette petite chienne.

Il tendit le bras vers elle pour ne serait-ce que le duvet de sa joue. D'un geste tendre et appliqué. Consciencieux de ne rien casser de si précieux. Sa voix brusquement devenue suante de miel.

« Mais si tu es dans le besoin, je peux être généreux. » Il baissa sa baguette. Regarda vers les couloirs. Puis de nouveau Georgiana. « De toute façon... C'est pas comme si tu avais bien le choix, non ? » L'humidité lourde de cette catacombe retomba poisseuse sur une allusion pleine d'obscénités évidentes.

D'un pas, Seb se décala pour libérer l'espace à l'entrée du tunnel. Regarda dedans. Soupira, un peu béat de la tension brusquement remontée. Regarda sa camarade, les yeux remplis d'une émotion bizarre de regrets et d'obsessions viscérales.

Fuis.

D'une attitude de conservation à la chute brutale. Cette fille plane. Cette fille flotte tellement au-dessus de tout le monde que le retour à la réalité est un choc. Sax sourit et son visage s'illumine d'une fascination admirative. La tête penchée sur le côté, presque béat, il la regarde se décomposer à mesure que le silence s'alourdit et que les secondes s'égrainent. Quelque chose en lui frissonne. Une horreur à répugner. Un secret que tout le monde connaît.

Sax ne pouvait pas retenir ce sourire qui plombait son visage d'un air de découverte puérile. Elle et son petit couteau. Mais où est-ce qu'elle avait foutu sa baguette ? Tu ne sais pas, ma petite, que ce sont des armes dangereuses ? Il la trouve ridicule avec sa petite lame de fortune qui serait incapable de le blesser.

Pourtant, elle la pointe. Elle la pointe comme si elle n'avait pas choisi. Comme s'il l'avait forcé à le suivre. Petite conne orgueilleuse.

« On a toujours le choix. »

Sax arque un sourcil et perd son sourire. Il redresse la tête et la toise, resté droit et fier. C'était le pire choix de mot imaginable.

Personne n'a le choix. Personne.

Alors, la voilà à reculer quand son instinct parle enfin. Quand elle n'a plus la force de tenir tête. Georgiana qui prenait conscience des réalités. C'était beau. C'était merveilleux. Sax approcha d'un pas vers elle alors qu'elle reculait d'un pas vers la sortie. Et elle recula et il avança. Ses yeux se figeaient sur les jambes de sa camarades. Incapable de trouver la moindre menace dans ce petit opinel. Georgiana était la reine du faux-semblants. De l'hypocrisie. Menteuse, elle ne faisait même plus la différence entre sa fierté et ses vérités.

Ce n'était pas contre lui qu'elle braquait son couteau. C'était contre son incapacité à s'imposer. Parce qu'elle était trop belle. Trop séduisante. Qu'elle était bien incapable de se défendre. Que devait-elle faire, alors ? Aujourd'hui que ses beautés inhumaines ne pouvaient pas la sortir de ce mauvais sort ?

« Qu'est-ce qu'il y a ? Je croyais que Miss Orkney relevait tous les défis ? » Moqua-t-il, grinçant.

Subitement, Sax attrapa cette main qui s'imaginait faire barrière entre elle et lui. L'empoignant pour qu'elle garde son couteau bien fermement dans sa main (il serait dommage qu'elle perde ce qu'elle pensait lui assurer encore un peu de dignité), il la tira vers lui, n'hésitant pas un brin à ceinturer sa taille avec son autre bras. Alors, dans ce geste brusque et fugace, la lame du couteau de Georgiana vint se heurter à la nuque de Sebastian. Le métal froid contre sa peau qui se déchira d'une légère entaille superficielle qui ne saigna pas. Pas encore.

« Tu veux me blesser, Gigi ? C'est ça ? Tu veux me saigner dans ces souterrains, ehe ? » Comme il ne voulait pas qu'elle garde l'équilibre, Sax avança tranquillement pour la faire reculer et lui rendre l'usage de ses jambes pour se défendre impossible. « C'est pas très gentil, ça... »

Sax avait des gestes précis, une habileté terrifiante et ses agressions éclataient toujours comme des coups de tonnerre. Il avait l'habitude et savait ce qu'il faisait. Sax manipulait les émotions comme le corps de ses proies.

« Après tout... » Il gardait fermement la lame contre sa gorge à lui. D'assez près pour que si Georgiana se libère de son emprise par la force, il soit assuré d'y laisser une artère correctement sectionnée. « Personne retrouverait mon corps, ici. A ta place, j'en profiterai... » A ta place, j'en profiterai.

Il souriait. Il n'avait pas peur. L'option d'une mort sanglante et poisseuse dans les souterrains de Havalbion ne semblait pas le gêner. Bien au contraire, il semblait la chercher. Là, maintenant, tout de suite. Le regard planté dans celui de Georgiana. Fou. Complètement fou. Petit à petit, il approchait son visage de celui de sa camarade demi-vélane.